C'est dans les alpes japonaises, à Nozawa Onsen, que nous avons posé nos gros sacs à dos durant deux mois et demi. Si tu nous suis, tu sais que nous sommes adeptes des volontariats Wwoofing/Workaway. Le principe consiste à aider un projet en échange du gîte et du couvert et d'avoir un échange culturel par la même occasion. Nous avons adopté ce concept depuis des années, car il nous permet d'apprendre énormément de choses, de faire des rencontres incroyables, d'échanger les cultures, d'être posés durant une certaine période dans des cadres souvent magnifiques et, ne le cachons pas, de pouvoir allonger nos voyages en arrêtant de dépenser durant une certaine période. Après l'avoir expérimenté avec succès au Canada, Islande, Alaska, Sri Lanka et Népal... Nous avons voulu tenter l'aventure au Japon. Pour la première fois, nous partons faire un volontariat dans un vrai "business". Alors, bonne ou mauvaise idée ?
Pourquoi le Japon, pourquoi les alpes japonaises ?
Le Japon est un pays qui attire et qui fascine, longtemps fermé à cause des restrictions Covid, il n'était pas possible d'envisager cette destination pour notre tour du monde. Le 11 octobre 2022, la bonne nouvelle tombe : le Japon ouvre ses frontières.
Il faut savoir que l'Asie, pour les backpackers est un continent en général très abordable financièrement, à l'exception du Japon. Donc concrètement, aller au Japon, oui, mais il fallait s'organiser. Financièrement, ce n'était pas possible et nous cherchions également un projet dans lequel s'investir dans chaque pays. C'était donc notre condition : trouver un chouette projet, à dimension humaine, aider d'une manière ou d'une autre les locaux ou faire une expérience qui pouvait nous faire évoluer, en nous apportant de nouvelles compétences ou simplement, nous permettre d'expérimenter quelque chose de différent.
Après plus de cinq mois sur les routes, à crapahuter avec nos sacs à dos, d'une ville à une autre et d'un pays à un autre, nous avons ressenti le besoin de vider nos sacs et de pouvoir, enfin, déposer nos affaires dans une armoire. S'arrêter, tout simplement. Ne plus penser à où aller, comment, où dormir,... Car la véritable fatigue du backpacker réside bien dans la quantité de ses mouvements.
Comme à notre habitude, après 13 expériences de Wwoofing/Workaway dont on estime la réussite à 85% (11 expériences sur 13 ont été très bonnes), nous avons pensé à une 14 ème expérience au Japon.
Nos recherches sur Workaway :
Nous avons pris contact avec quelques personnes et nous avons bien failli accepter de travailler dans une ferme, sur une île où le travail était assez physique et dont l'échange se limitait à une pièce pour dormir non-chauffée et à une alimentation ultra-basique, avec les produits de la ferme. Concrètement, il fallait se rendre à l'évidence, après la fatigue accumulée, ce n'était pas une bonne idée de se mettre dans une situation qui probablement aurait brûlé nos dernières ressources. Donc nous nous sommes encore laissés un peu de temps, jusqu'à ce que l'on trouve une expérience plus convaincante. C'est là que nous avons vu un lodge, dans les Alpes japonaises qui recherchait un coup de main. Trois aspects nous attirent. Premièrement, l'annonce parle d'un village traditionnel en montagne, réputé pour ses Onsen (bains publics japonais) et la gentillesse des locaux. Deuxièmement, nous allons découvrir ce que c'est de travailler dans un lodge. Cette expérience nous attire, car nous avons dans l'idée de peut-être avoir quelques chambres d'hôte plus tard. Troisièmement, le lodge se situe à 5 minutes à pied d'une station de ski... Qui ne rêve pas de skier au Japon ? Dernier point, le village se trouve au Nord de Tokyo, à quelques heures de transport. Facile d'accès et bien placé pour visiter ensuite le pays.
Sur l'annonce, voici ce qu'il est écrit : "Nettoyage général des locaux, toilettes et déneigement. Attendez-vous également à interagir avec nos invités et la communauté locale". Maximum 4-5 heures par jour, 5 jours par semaine.
En échange de quoi ? En général, une entreprise ou une activité commerciale est censée offrir un salaire minimum à ses volontaires "Workaway". Ici, on nous a rapidement fait comprendre que nous ne le serions pas, mais que nous recevrions le couvert, le logis et du matériel pour skier.
Nous prenons contact, nous avons même un coup de téléphone avec l'hôte, cela se passe bien. On ressent cependant que l'hôte est sur ses gardes, il a peur et nous parle d'une mauvaise expérience passée. On le rassure en lui disant que nous sommes des personnes sérieuses, professionnelles et de confiance. À la fin de la conversation, nous nous engageons mutuellement pour un mois de travail, nous arriverons le 22 décembre et nous sommes ravis : nous ne serons pas seuls pour Noël. Nous comprenons un peu tardivement que lui et son épouse ne sont pas japonais, mais de Singapour.
L'excitation d'aller au Japon et notre confiance en nos hôtes nous ont fait accepter l'offre, sans doute un peu trop vite.
Notre expérience :
Les hôtes possèdent deux lodges, un de 4 chambres et un de 6. Ce qui nous a été expliqué, c'est que nous allions gérer seuls le lodge de 4 chambres. Les hôtes résident dans le lodge de 6 chambres, avec 4 autres volontaires. Outre le fait que le lodge de 6 chambres a deux chambres de plus, la superficie de l'endroit est beaucoup plus grande, car ils ont aussi un restaurant (qui était ouvert que très périodiquement et à la demande).
Notre lodge
Globalement, jusqu'au 15 janvier, on peut dire que cela s'est relativement bien passé. Le lodge n’était pas rempli tous les jours, ce qui nous permettait de pouvoir un peu décompresser. De plus, la période de Noël, la nouvelle année ainsi que le Fire Festival (un événement annuel, très attendu dans le village), nous ont fait beaucoup de bien car on se changeait les idées. C'est après que c'est devenu compliqué, nous avons eu des groupes de 10 personnes à gérer et en février, le lodge était rempli tous les jours.
Nous partageons avec vous notre réalité pendant deux mois et demi (bien entendu, tout cela, nous l'avons découvert qu'une fois sur place) :
S'occuper seuls des déjeuners 7/7 Nous avons fait 412 déjeuners en tenant compte de diverses allergies et régimes alimentaires (pas de soja, pas de gluten, que de la viande etc). Les déjeuners nécessitaient toujours une préparation en cuisine (crêpes normales et sans gluten, cakes, porridge, pains perdus, omelettes, œufs pochés, pommes de terre rissolées, riz et toujours des fruits pellés et coupés). C'est sans compter sur l'aide d'un lave-vaisselle que nous avons géré cette tâche 7 jours sur 7. Avec dans l'ensemble, un lodge complet quasi non-stop. Les clients descendaient à tous moments pour prendre leur déjeuner entre 7h30 et 9h00. A la demande, cela pouvait être plus tôt.
Être disponibles H24 pour les clients
Comme nous dormions sur place, dans une petite pièce, qui donne sur le hall d'entrée et à côté de l'espace commun, nous devions également être disponible H24 pour les clients. À titre d'exemple, il nous est arrivé, que des clients rentrent dans notre chambre sans frapper, que d'autres frappent ou que d'autres encore crient notre prénom devant notre chambre pour nous demander quelque chose.
Dans les demandes reçues, citons par exemple : Est-ce que vous pouvez me réserver un restaurant ? est-ce que vous pouvez me réserver une excursion ? Est-ce que vous pouvez réparer mon radiateur qui ne fonctionne plus ? Est-ce que vous pouvez m'imprimer des papiers ? Est-ce que vous pouvez faire expédier mes valises ? Et c'est sans compter sur les demandes directes, à n'importe quel moment... Type : "Avez-vous des ciseaux, de la colle, un matelas, un oreiller, une serviette supplémentaire ? Et il nous a même été demandé de renvoyer une brosse à cheveux oubliée par la poste.
Se transformer en réceptionniste mobile et bagagiste, à n'importe quelle heure
Tous les clients arrivaient via le bus et il fallait aller les chercher à l'arrêt le plus proche du lodge (un petit 10 minutes à pieds). La plupart du temps, il fallait aider à porter les valises et il nous a été aussi demandé (une fois) de porter la valise d'une cliente (du même âge que nous, on précise) lors de du départ, jusqu'au terminal de bus.
Préparer toutes les chambres (on ne peut pas vraiment placer ceci dans de "l'entretien général").
En effet, nous devions gérer les stocks des draps, faire les lits et nettoyer la chambre avant chaque arrivée et bien évidemment, enlever les draps et nettoyer après les départs pour recommencer la même ritournelle pour les suivants.
Gestion des conflits et des litiges Comme notre hôte faisait des erreurs dans le planning, nous avons eu plusieurs doubles réservations. Nous avons dû intervenir pour demander à des clients de changer de chambre ou de changer de lodge. Souvent, les clients refusaient de changer de lodge car l'autre était plus loin de la station de ski. Nous avons malgré tout essayé que cette responsabilité soit celle de l'hôte, mais pas la nôtre. Cependant, cela nous a toujours impacté, car il fallait revoir le planning (que nous avons d'ailleurs réalisé sur Excel car l'hôte fonctionnait encore avec du papier) et souvent défaire et refaire des chambres.
Déneigement
A propos du déneigement, il faut savoir qu'il y a une très grande quantité de neige qui tombe à Nozawa Onsen. Les hôtes ont parlé du déneigement, mais pas que cela pouvait prendre plusieurs heures par jours, ni qu'il fallait déneiger souvent le parking, la rue et le toit (sans aucune sécurité). C'est une tâche qui n'est certainement pas à négliger, car c'est très physique. Et quand ce n'est pas assez bien fait, vous pouvez être certain que les voisins japonais viendront se plaindre.
Gestion des approvisionnements (nourriture, chauffage etc)
Cela peut paraître anodin, mais réaliser plus de 400 déjeuners et veiller à s'alimenter nous et les autres volontaires aussi (nous faisions des tournantes pour préparer le repas du soir), cela demande tout de même une petite organisation. De même que veiller à ce que les endroits communs soient chauffés (au kérosène). Il faut donc veiller en permanence au stock.
Aucun jour de congé
Nous avons découvert, à nos dépens, qu'il n'était pas prévu d'avoir des congés. Nous avons d'ailleurs travaillé un 25 décembre et un 1 janvier. Bien sûr, il y avait des jours durant lesquels, on travaillait moins, mais cela ne valait jamais pour un jour de congé.
Et le rôle des hôtes / propriétaires dans tout cela ?
Lui s'occupait uniquement des réservations (réponses sur Airbnb et des contacts écrits avec les clients). Il était notre contact quand nous faisions des demandes pour le lodge (type kérosène ou commandes de draps). Il conduisait la voiture quand nous devions aller faire des courses... En dehors de cela, nous ne l'avons jamais vu débarrasser une assiette (même quand nous faisions à manger pour eux), jamais vu faire la vaisselle ou son propre café (il fallait le faire pour lui). Sans oublier que quand un client ne payait pas, c'était à nous de faire la demande de paiement auprès du client.
Elle était au début souvent en cuisine pour les déjeuner de l'autre lodge ou la préparation de repas le soir, à la demande de certains clients. Ensuite, elle est partie faire un stage de poterie de deux semaines et après cela, elle n'a plus voulu s'occuper de la cuisine et nous ne les avons d'ailleurs pratiquement pas vus leur dernière semaine, car ils ne souhaitaient plus prendre le repas avec les volontaires.
Après avoir listé ces différents points, vous vous doutez bien qu'il y a aussi "l'humain" à gérer et c'est ce qui a sans doute été le plus compliqué. Notons que le propriétaire était très susceptible donc dès qu'un client a qui on avait demandé de changer de lodge (à cause d'un double booking), refusait, le propriétaire nous disait soit de faire payer un surplus pour le déjeuner, soit de fournir le strict minimum (il nous a été demandé de donner des biscottes au déjeuner). Le sentiment que nous avons eu, c'est que nous étions face à des personnes hypocrites, rancunières, instables émotionnellement pour lui et dont l'objectif numéro un est : faire un maximum de profit (ce qui justifie, pour eux, la présence de Workaway et non de véritables employés payés pour gérer leurs activités).
Bref, nous avons fait tourner un lodge, en tant que volontaires durant 70 jours sans que les propriétaires ne doivent lever le petit doigt.
Les points positifs de cette expérience (ouf, il y en a eu tout de même !) :
Comme nous étions seuls responsables dans leur lodge, nous étions libres de nous organiser comme nous le souhaitions (tant que le travail était fait). Nous avions une petite chambre avec le confort nécessaire, la possibilité de manger quand on en avait envie, une cuisine, et de faire nos lessives quand on le souhaitait. Lorsque nous faisions les courses, lui nous demandait de prendre le moins cher pour les clients, mais dans l'ensemble, nous avons pu gérer les courses comme nous l'entendions sans voir la couleur de la note et manger à notre faim.
Nos hôtes nous aussi invité quelques fois dans de petits restaurants. Ces moments ont toujours été très agréables et nous les remercions pour cela ! Ils nous ont aussi permis de ne pas nous retrouver seuls le jour de Noël et Nouvel An. Nous avons fait les deux fois un très bon repas, dans une très bonne ambiance.
Nous avons fait la rencontre de deux autres volontaires avec qui nous nous sommes extrêmement bien entendus. Mattia, un Italien et Sam, un Australien. Merci à eux pour nos chouettes moments de ski, les repas échangés, les soirées à regarder des films et jeux de cartes. Nous avons également fait la rencontre de deux Japonais (on n'a jamais vraiment su leur statut), mais nous nous sommes aussi très bien entendus avec eux et ils ont été d'une immense gentillesse et générosité avec nous.
Bien évidemment, le ski ! Nous étions à 5 minutes à pieds des pistes de ski et avec le ski pass pour la saison, nous pouvions vraiment nous faire plaisir. La neige était excellente et nous en avons bien profité. Nous allions skier presque tous les jours, un luxe que nous avons eu l'immense privilège d'avoir.
Nous poser pendant une +ou- longue période fait tout de même du bien dans un long voyage en sac à dos. Avoir une cuisine, sa chambre à long terme, ne pas trop réfléchir au programme du lendemain.
Nous avons appris à gérer un lodge presque de A à Z et peut-être que cela nous servira à l'avenir.
Comment cela s'est terminé ? Le mois de février a été très difficile pour tous les deux. Tant physiquement que psychologiquement et à un moment, Delphine en a fait part au propriétaire. A partir de ce moment-là, on peut dire que cela a été le point de rupture. La relation avec eux a été tendue jusqu'à la fin. D'ailleurs, parlons de la fin, après que la femme soit partie faire un stage de poterie durant deux semaines, nous ne les avons quasi plus vus. Ils sont partis définitivement le 21 février, nous laissant totalement seuls (ce que nous étions déjà, mais de là, à partir,...). Nous avons réalisé en plus que le matériel de ski qu'ils nous prêtaient ne leur appartenaient même pas (!) De notre côté, nous avons clôturé cette expérience, comme prévu le 4 mars.
Au total, nous nous sommes occupés seuls de 80 personnes et de 412 déjeuners ainsi que de tout l'entretien du bâtiment intérieur et extérieur (neige). Inévitablement, à un moment, le calcul se fait rapidement. Que rapporte notre travail aux propriétaires ? Et bien, sans rentrer dans les détails, suffisamment pour ne pas devoir travailler l'autre partie de l'année.
Pourquoi nous sommes restés jusqu'à la fin ?
Il y a plusieurs raisons. Tout d'abord, Quentin a plus tardivement vu la véritable nature de nos hôtes et donc quand Delphine proposait de partir, Quentin disait voir des avantages : les autres volontaires et le ski. Nous avons décidé de faire ce voyage en couple et décider que l'un parte et que l'autre reste, ce n'était pas ce que nous voulions. Delphine s'est dit qu'elle pouvait peut-être prendre sur elle, et croyez-nous, cela a été compliqué pour tous les deux. Quentin a eu une assez grosse altercation avec le propriétaire, ce qui lui a permis de totalement réaliser dans quoi nous nous trouvions. Ensuite, nous nous sommes dits : "courage, c'est presque la fin". Ce qui a sans doute fait plus peur a Quentin, c'était de se dire que si on partait, on était reparti sur les routes avec nos gros sacs et que le confort de la sédentarité serait terminée à la seconde où l'on partait. Il n'avait pas tort, mais pour Delphine, rien n'était plus important que de se respecter et d'être en adéquation avec ses valeurs. Car on ne va pas jouer les victimes, ce que nous avons fait, c'est rendre les riches encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres (en privant deux personnes d'avoir un travail rémunéré). Nous voulions également tenir nos engagements, bien qu'il peut y avoir des raisons valables de reconsidérer les choses.
Finalement, c'est à la fin, quand nos hôtes sont partis (notre dernière semaine) que nous avons tous passés nos meilleurs moments. Et oui, "Quand le chat n'est pas là, les souris dansent" ;-)
Notre igloo made by the workaway-team.
Notre souper d'adieu préparé par notre couple de japonais.
Bains de minuit dans les Onsen.
Petits lunchs préparés à notre départ par Natsuki, notre volontaire japonaise
Pourquoi on vous raconte tout cela ?
Pour vous montrer qu'une expérience de Workaway peut être la meilleure, comme la pire des expériences ! Nous savons qu'il y a bien pire que ce que nous avons vécu, mais nous ne pouvons pas laisser passer ceci. Car pour nous, ce que nous avons vécu n'est pas un Workaway, mais une manière facile d'avoir des travailleurs sans contrat de travail et qu'on ne paie pas. Les profits générés par les deux lodges sont énormes et amplement suffisants pour que les propriétaires puissent engager du personnel.
Nous avons écrit cet article, aussi pour vous inciter à redoubler de vigilance quand vous vous embarquez dans une telle expérience et à en parler quand cela ne se passe pas comme cela devrait. Il faut que ce type de pratique frauduleuse cesse ! Le Workaway, comme cela a été pensé, est basé sur de belles valeurs, sur des échanges et non sur le profit.
Si nous pouvons vous donner un conseil : évitez les business et particulièrement l'hôtellerie et l'horeca en tant que volontaire. En effet ces gens ont de quoi avoir du personnel ! Tant qu'a faire du volontariat, autant le faire pour des personnes qui en ont vraiment besoin.
je suis abasourdie en lisant le compte rendu sur le Japon...